«Suez doit rester indépendant!»: la contre-attaque de Gérard Mestrallet
EXCLUSIF - Le président d’honneur d’Engie et de Suez réplique à Antoine Frérot, le PDG de Veolia, parti à l’assaut de Suez.
Par Gérard Mestrallet
Le président d’honneur d’Engie et de Suez signifie sa totale opposition à l’OPA de Veolia sur Suez et explique pourquoi.
Veolia a proposé de racheter l’essentiel de la participation qu’Engie détient en Suez, puis de lancer une OPA sur 100 % de capital pour fusionner les deux groupes et créer un champion français. Que faut-il penser de ce projet? Depuis quatre ans, je me suis abstenu de toute expression publique, tant sur Engie que sur Suez. En tant que président d’honneur de ces deux entreprises, je me dois aujourd’hui de dire ce que je pense.
Je ne suis pas a priori opposé aux fusions. J’en ai réalisé six. Deux franco-françaises Suez/Lyonnaise des Eaux et Suez/Gaz de France. Et quatre fusions transfrontalières avec la Société Générale de Belgique, puis Tractebel, Electrabel et International Power.
Pourquoi la fusion Veolia/Suez me semble donc dangereuse? Tout d’abord les six fusions réalisées étaient toutes amicales. L’approche de Veolia est hostile. Le Conseil d’administration de Suez ne la souhaitait pas.
J’ai toujours été opposé aux opérations hostiles, parce qu’elles sont destructrices de motivation, d’enthousiasme, de mobilisation, d’esprit d’équipe et finalement destructrices de valeur. On ne fusionne pas des machines comme souvent dans l’industrie, mais des femmes et des hommes, des relations historiques avec les élus, des partenariats établis de longue date. Nous sommes dans les services, une activité reposant avant tout sur le capital humain.
La menace chinoise ? Un faux épouvantail qui prête à sourire, on ne voit pas demain les collectivités locales françaises, européennes, américaines ou japonaises confier la gestion de leur eau à des entreprises chinoises.
En l’espèce, Veolia veut créer un champion français. Mais précisément, la France en a déjà deux. Les deux leaders mondiaux de l’environnement. La taille de chacun d’eux n’est pas trop petite. Elle n’a empêché aucun d’eux d’accéder au leadership mondial. Il n’y a pas besoin de les fusionner pour cela. La menace chinoise? Un faux épouvantail qui prête à sourire, on ne voit pas demain les collectivités locales françaises, européennes, américaines ou japonaises confier la gestion de leur eau à des entreprises chinoises.
Une fusion créerait-elle une entité deux fois plus grande, où 1 + 1 ferait 2? La réponse est non, et cela tient au caractère hostile de l’opération.
Lors des deux fusions amicales, Suez-Lyonnaise des Eaux et Suez-Gaz de France, nous nous sommes mis d’accord sur une parité d’échange des actions, et la fusion a été réalisée par intégration des entités en une seule fois, sans sortir un euro de leur périmètre. La société fusionnée n’avait pas augmenté sa dette, et se dotait ainsi d’une structure financière très solide, ouvrant la voie à des développements ambitieux.
Dans une opération hostile, l’agresseur doit acquérir des titres de la cible en s’endettant. Veolia est au départ une société endettée: 12 milliards d’euros de dettes pour 11 milliards d’euros de capitalisation. Suez, aujourd’hui, a 10 milliards d’euros de dettes pour une capitalisation de 10 milliards d’euros, au prix proposé par Veolia. C’est donc - avant toute opération - une dette totale, presque triplée, de 32 milliards d’euros qui pèsera sur Veolia.
Réduire cette dette ne sera possible qu’en vendant l’essentiel des actifs récupérés chez Suez. Bien sûr, l’eau en France, prévendue à Méridiam, partenaire de Veolia, dans cette agression et qui est supposé devenir demain un concurrent bien peu crédible, puis les déchets en France et d’autres actifs, en Grande-Bretagne, en Chine, au Maroc, en Australie, partout où se poseront des problèmes de concurrence, et ils sont nombreux.
Veolia aurait détruit – enfin après tant de tentatives qui ont toutes échoué – son grand concurrent. Ne serait-ce pas en vérité l’objectif réel, mais caché ?
À la fin, au lieu d’avoir deux groupes qui font aujourd’hui rayonner le prestige français dans le monde (1 et 1 font 2), nous n’aurions qu’un seul groupe représentant à peine plus que l’une des deux entreprises.
Veolia aurait détruit - enfin après tant de tentatives qui ont toutes échoué - son grand concurrent. Ne serait-ce pas en vérité l’objectif réel, mais caché?
La France aura beaucoup perdu, après une période d’incertitude et de tensions d’au moins deux ans, qui aura clairement affaibli nos deux entreprises. Le ministre de l’Économie et des Finances, Monsieur Bruno Le Maire, a raison de vouloir ni vainqueur ni vaincu. Mais si la fusion se fait, il y aura un vainqueur et un vaincu et beaucoup de perdants, dont la France.
En outre, comment peut-on prétendre réaliser 500 millions d’euros de synergies dans des activités de services sans toucher à l’emploi? En réalité, le siège, les fonctions centrales et le nom de Suez disparaîtraient.
Je fais confiance à Bertrand Camus, à Philippe Varin et aux équipes de Suez pour proposer à Engie une alternative qui rencontre les trois critères énoncés par son président Jean-Pierre Clamadieu: la valeur, le projet industriel et le respect des parties prenantes. Suez est l’un des fleurons industriels de notre pays. Aujourd’hui, ce n’est pas Veolia, c’est Suez qui est leader mondial de l’eau municipale avec 145 millions de personnes desservies. Ce n’est pas Veolia, c’est Suez qui est le leader de l’eau industrielle depuis le rachat de General Electric Water, il y a deux ans.
Nul besoin d’invoquer les cent cinquante ans d’histoire prestigieuse de la Compagnie universelle du canal maritime de Suez, Ferdinand de Lesseps et l’aventure prestigieuse de cette compagnie qui s’est si souvent mariée à l’histoire de France. J’y suis évidemment sensible. Mais j’ai voulu aujourd’hui m’en tenir aux arguments industriels, sociaux et financiers qui me paraissent largement suffisants pour que la raison l’emporte. Suez doit rester indépendant.
Source le Figaro